Je suis récemment tombé sur un article du figaro.fr particulièrement intéressant. Il l’était non pas par son contenu, mais par sa rédaction. C’est en gros un bon exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire pour écrire correctement. Le sujet concerne, selon l’expression consacrée, un drame familiale; une tragédie ayant coûté la vie à au moins trois personnes, qui mériterai un traitement plus sobre et plus concret.

Dans l'Eure

Premièrement, l’article semble en permanence hésiter sur des informations pointues utiles à un article de fond (emplacement des victimes, le nombre d’experts, nom du colonel chargé de l’affaire…) et des détails parfaitement inutiles (les combinaisons blanches des experts, la maison de plain-pied), voir racoleur (« le père enserraient ses deux fillettes mortes »).

A ce problème s’ajoute celui du tri de l’information. A lire l’article, on sait déjà quelle est la motivation probable du père (il ne supportait pas le divorce, c’est dit 2 fois), même si on ne sait absolument pas de quelle source vient cette information. On constate également que le père est blessé, détail étonnant, et peut être important, mais l’article passe sur l’information comme si elle était un simple fait du hasard. En revanche, un certain « colonel Samuel Dubuis » déclare qu’une « enquête d’environnement » sera menée, détail beaucoup moins important (c’est tout simplement la procédure).

On assiste par ailleurs à un traitement de l’information particulièrement étrange avec une très forte humanisation du père (« il ne supportait pas que sa femme veuille le quitter », « le père enserraient ses deux fillettes mortes », « le grand-père, venant chercher son fils, agent technique dans une collectivité, pour l’amener à son travail »), alors que parallèlement sa femme est complètement oubliée. En effet, on ne sait rien d’elle (à part ce qui la relie à son mari), même pas son âge, alors que celui-ci est donnés pour tout le reste de la famille.

A ce traitement incertain se rajoute une étrange propension du journaliste à répéter les mêmes informations 2 à 3 fois, même les plus inutiles (« dans l’Eure », on le saura 3 fois). Par exemple, le titre donne l’information principale, puis le premier paragraphe la reprend en ajoutant quelques informations, et enfin le deuxième paragraphe reprend ces infos et en ajoute encore. Résultat, certains faits sont répétées 3 fois en seulement 6 phrases (7 avec le titre). Je connais le principe de l’accroche qui doit résumer en peu de mots le sujet dans le premier paragraphe, mais ici, la technique est mal utilisée, et provoque une redondance. Celle-ci est d’autant plus forte que certains faits seront encore soulignés une troisième ou une quatrième fois dans la suite du texte.

Mon objectif n’est pas ici de bousiller le journaliste qui a écrit ce texte, puisqu’il fait, somme toute, ce qu’on lui demande. En effet, cet article n’est pas seulement le fait de la maladresse d’une personne, mais est aussi symptomatique de la mauvaise manière dont sont traités nombre de faits tragiques de ce genre. A force d’habitude, les lecteurs (et pire, les journalistes eux même !) ne se rendent même plus compte de ce qui ne va pas. Les mots ont un sens et un poids, et il faut les utiliser à bon escient et correctement.


Voici l’article corrigé par mes soins. Les textes en italique entre parenthèses, sont mes réflexions. Les légendes correspondant aux caractères gras et aux lignes soulignées sont précisées juste en dessous du texte :

Dans l’Eure, un père poignarde sa femme et ses trois enfants

Les corps sans vie de la mère et de deux filles(1) ont été retrouvés ce matin dans leur maison à Claville, dans l’Eure(2). Un troisième enfant est entre la vie et la mort(3). (Une phrase introductive, certes, mais qui ne fait que reprendre le titre)

Un drame familial. Ce jeudi, peu après 8h, une mère de famille et ses deux filles(1) de cinq et onze ans ont été retrouvées mortes(1), poignardées dans leur maison à Claville(2), une petite commune rurale de l’Eure. Un troisième enfant(3), un adolescent de 15 ans, grièvement blessé à l’abdomen, est lui actuellement entre la vie et la mort(3). (La formulation « est lui actuellement » est très maladroite) Le père de famille, légèrement blessé (Pourquoi ?), a déjà avoué les faits. L’homme, dépressif, aurait agit car il ne supportait pas que sa femme veuille le quitter(4).

Dans la salle à manger, les pompiers ont retrouvé la mère gisant seule sans vie(1). Dans la chambre à coucher, le père enserraient (Premièrement, pas de « ent ». De plus « serrait » serait plus sobre) ses deux fillettes mortes(1), tandis que le fils luttait contre ses blessures mortelles(3) (Pas « mortelle », tant qu’il n’est pas mort. Mais « grave » ou « sévère ») dans la salle de bain. C’est le grand-père – venant chercher son fils, agent technique dans une collectivité, pour l’amener à son travail – qui a donné l’alerte, s’inquiétant que la maison soit encore fermée et que personne ne réponde.

Dès la fin de matinée, quatre experts en police scientifiques (c’est quoi ce « s » ? De plus on dit « expert DE la police ») en combinaisons blanches (info inutile, de plus les experts ont toujours des combinaisons blanches) ont commencé à fouiller la maison de plain-pied et son jardin, à la recherche du moindre indice (« d’indices », « moindre » est inutile, ce n’est pas un roman ni un article de fond). Des médecins légistes les secondaient. En parallèle, une «enquête d’environnement» comprenant une trentaine de gendarmes sera menée, a précisé le colonel Samuel Dubuis (Qui est ? Quel est son rôle dans cette affaire ?).

Selon le récit fait par les voisins, la famille était installée à Claville(2) depuis un an et était relativement discrète. Le couple était en instance de divorce(4), et les deux parents (préciser « deux » est inutile. C’est une évidence dans le contexte) devaient bientôt se séparer, le père partant vivre avec son fils. Dans la ville d’à peine 1000 habitants, le choc est important. «Ça remue tout le monde. On ne pense pas que ça puisse arriver si près de chez nous» a déclaré, émue, une Clavillaise. (Qui ? Y a-t-il vraiment eu une interview pour en tirer UNE seule phrase ? On retrouve ce genre de citation dans tous les articles ou interviews relatant ce genre de drame.)

Le père, âgé de 38 ans, a semble-t-il agi car il ne supportait pas que sa femme s’apprête à le quitter(4). (L’âge de toute la famille (père homicide compris) est cité, pourquoi pas la femme ?) Il a été placé en garde à vue, mais devra être réinterrogé après avoir subi une opération chirurgicale. Conduit à l’hôpital, il a trois tendons de la main sectionnés et des plaies à l’abdomen (Il est blessé ? Pourquoi ? Voilà qui est un point surprenant et donc intéressant. Pourquoi n’a-t-on rien d’autre à ce propos ?*).

Légende :

Caractère gras : Informations inutiles dans l’article, soit parce qu’elles n’apportent rien, soit parce qu’elles sont répétées. L’article resterait parfaitement lisible en enlevant ces parties.

Les morceaux de texte soulignés suivis d’un chiffre de (1) à (4) mettent en avant les informations répétées 2 à 3 fois dans l’article. Les voici dans leur ordre d’apparition dans le texte :

Souligné suivi de (1) : La mère et les deux filles
Souligné suivi de (2) : Localisation à Claville dans l’Eure
Souligné suivi de (3) : Le fils grièvement blessé
Souligné suivi de (4) : Le couple allait divorcer. Le mari ne le supportait pas

* A l’évidence, il s’agit de blessures dues à une lutte avec un membre de sa famille. On peut penser que la mère ou le fils ont tenté de se défendre (ou que l’un a voulu défendre l’autre) en attaquant le père. Une telle déduction est plus du ressort de la police, mais les journalistes auraient pu poser des questions à ce propos.


Je ne vais pas réécrire l’article corrigé en entier, mais, à titre d’exemple, voici comment l’on doit s’y prendre. Pour cela, j’ai pris l’une des pires phrases du texte :

Dans l'Eure2

Elle comporte 3 expressions inutiles (« en combinaisons blanches », « plain-pied », « moindre »), deux fautes de grammaire (répétition du « en », utilisation de « en » à la place de « de ») et une faute d’orthographe (le « s » de « scientifique ») :

L’idée d’une correction journalistique est de raccourcir le texte pour le rendre plus clair, d’enlever les mots inutiles et évidemment de corriger les fautes d’orthographe et de grammaire. Voici ce que cela donne :

« Dès la fin de matinée, quatre experts de la police scientifique ont commencé à fouiller la maison et son jardin, à la recherche d’indices. « 

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